C’est mon histoire, la mienne, la mienne et celle des autres.
Je ne vais pas vous montrer ma carte d’identité. Je ne l’ai pas.

Je suis blanche, ça se
voit, je peux vous dire que je suis française de père de mère. L’identité ça ne se
partage pas. Je ressemble plus à mon père, c’est plus facile car il est mort jeune et il est
resté beau. Et ce n’est pas que je sois belle. La beauté ça ne se partage pas. Je suis
française, c’est écrit. Mon identité, elle est sous plastique, on n’y touche pas.
Je suis une femme, signe distinctif : tour de poitrine 95B. Je suis une femme et souvent des
hommes m’abordent et me demandent si c’est moi qu’ils ont vu un jour, un autre jour, avant.
Pourquoi ils me disent ça, comme ça ?
Je suis obligée de me demander non pas si j’ai déjà vu cet homme parce que celui qui me
parle comme ça moi je ne l’ai jamais vu, non je suis obligée de me demander si je ressemble
à quelqu’un et je réponds : « A qui je ressemble ? » « Non à toi, ils disent, tu te ressembles !
À toi » Les hommes selon moi disent n’importe quoi pour parler. Pour communiquer ils sont
prêts à tout, même à être idiot. Et puis, ils ne sont pas très visuels, ils ne voient pas les
détails, ils se trompent quand ils identifient. C’est pour cela qu’ils ont besoin de spécialiste
pour nous identifier et qu’ils ont inventé un papier, une carte qui certifie que, moi je suis moi.
Que lui il est lui, sans cela ils sont perdus.
Un homme t’aborde toujours en te disant qu’il t’a vu, avant. Alors soit, il ne voit pas bien soit,
il a la mémoire courte et tout cela ne joue pas à son avantage.
Moi, aux hommes, dans la rue, je leur cloue le bec en leur disant : « Tu veux ma photo ? » et
avant qu’ils ne répondent je leur dis : « Je te la fais en un clic la photo, la photo du jour ! Clic
tu me vois ! Clic tu ne me vois pas » Et je disparais.
Et sa photo de moi, soit il l’a sur le fond de sa rétine et il me dira qu’il me connait la
prochaine fois qu’il me voit, soit il n’a pas eu le temps d’imprimer la photo et il me redira une
autre fois « On se connait, on s’est déjà vu quelque part ? » Parce qu’un homme n’arrive
pas à comprendre qu’il ne me connait pas, qu’il ne me connaitra jamais. Même moi j’ai des
problèmes à savoir qui je suis.
Enfin eux, ils ont le droit d’être stupides, c’est culturel. Bref ! Pour l’instant je ne prends pas
de risque et je le garde à distance l’homme qui a l’impression de me connaitre, je le garde à
distance, lui et ses bonnes blagues.
Photo ou pas photo, mon hérédité est trouble. Et je mets en plus du flou par-dessus sinon je
serais obligée d’afficher mes origines catho 100% et je n’ai pas de très bons rapports avec le
pape.
Car là aussi il faudrait que je lui dise ce qu’il a envie d’entendre sur ma vie à cet homme là.
Et mes 4 avortements il ne saurait pas quoi en faire et ma carte de bonne chrétienne il n’est
pas prêt de me la délivrer.
Et pourtant je ne suis pas née en Angola. Là-bas il recrute le pape, pour sa chapelle Sixtine,
il va voir sur place la marchandise et il accepte tout le monde. Mais pour les femmes c’est
plus dur d’être intégré dans la grande famille. Depuis le début il n’y a que les hommes qui
parlent dans cette église, le père, le fils et le saint esprit. La mère, elle est restée vierge c’est
dire qu’ils n’ont jamais rien compris à la femme. C’est pourtant pas compliqué de
comprendre que l’enfant il sort du ventre de la femme et qu’une vierge ne peut pas être
mère. S’ils avaient éclairci l’histoire dès le début on n’aurait pas tant de problème
maintenant. Mais une fois que c’est sacré c’est sacré et on ne peut pas revenir dessus. Le
pape et toute sa clique se retrouve entre hommes, et ils ne veulent pas voir en face le ventre
de la femme.
C
2
En 2009, c’est toujours impossible d’intégrer une femme dans l’Eglise. Une femme qui
parlerait au nom des femmes, au nom des femmes et des hommes et qui ne serait pas juste
là à genoux à se plaindre avec un chapelet ou un mouchoir à la main.
En Angola, le pape il va les voir les pleureuses et il n’a pas d’état d’âmes envers elles. Il
parle du viol comme d’une réalité objective de la femme. La femme et le viol un couple
inséparable ! Il va loin le pape, il dit que l’enfant issu du viol, cet enfant là défiguré par la
violence, c’est un enfant de Dieu donc c’est sacré donc la femme violée elle doit accepter
l’enfant. Elle doit le garder, garder en elle la trace de l’horreur, le faire pousser dans son
ventre, l’accoucher, l’élever. Elle ne doit pas avorter, avorter c’est un crime. Mais bon sang
de bonsoir comme disait ma grand-mère celui qui a commis le crime c’est l’homme qui a
violé, non ?
« Non les femmes ne doivent pas avorter il y a va de leur santé ! »
Alors moi et mes avortements, ces avortements qui ne sont pas inscrits sur ma carte
d’identité, ces 4 oeufs fécondés que je n’ai pas porté dans mon ventre, ces quatre visages
inconnus, ces quatre foetus qui rodent dans ma tête ils peuvent bien hurler du fond de mes
entrailles, le pape n’en saura rien.
Ce pape là il excommunie à tour de bras !!!
Et moi je crie du fond de moi, du fond de mon ventre je crie mais vous ne m’entendez pas.
Je hurle avec toutes les femmes qui regardent le foetus expulsé, le sang versé en se
demandant dans quel ordre va le monde. Je crie des mots silencieux qui ne sortent pas de
ma bouche.
Je suis l’avorteuse avortée, l’avortement non déclaré qui n’est pas écrit sur ma carte
d’identité.
Mon identité elle se porte bien protégée sous plastique, immunisée.
Et je regarde les hommes et je me demande si je reconnais le violeur qui rode en eux. « On
se connait ? »
Elle chantonne
R / Je ne suis pas faite pour l’amour (ter)
Mais pour être incendiée
1) On ne choisit jamais son père
On rêve tous d’égalité
Et selon quelle était notre terre
Notre vie est bien cher payée
2) Je ne supporte pas la misère
Je voudrais tout transformer
Plus ça va, plus je désespère
Attention ! Je vais exploser
4) La nuit je pense au cimetière
Ou mes amis sont rassemblés
Cancer, sida ou suicidaire
Pour vous je continue d’avancer
5) je me terre, je ne fais que me taire
Devant si peu d’humanité
Et je rêve, je rêve en solitaire
A un monde de liberté
3
Moi ma vraie famille c’est les gens qui défilent. Mon CV c’est leur banderole « Moi c’est elle -
elle c’est moi » Moi c’est elle, la femme qui défile derrière la banderole c’est moi et c’est ma
voisine.
Ma voisine qui hurle c’est moi, c’est moi et c’est elle qui hurle
Oui les femmes hurlent.
On le dit / On l’entend
Aujourd’hui celle qui hurle c’est moi
Dans sa bouche ouverte, c’est mon miroir hurlant
Dans sa bouche c’est ma langue
Avec tout autour toute l’actualité qui me donne le vertige
Elle que j’entends et moi en silence
Moi si blanche elle écarlate
Moi je suis blanche
Blanche cela veut dire : ne pas être contrôlée - ne jamais être contrôlée - pas une seule fois
contrôlée à Paris – jamais contrôlée dans le métro – jamais en trente ans
J’ai une bonne tête de française, moi Madame, Monsieur,
Je ne suis pas contrôlée mais j’ai ma carte dans mon sac
Une belle carte valable jusqu’en 2011 dans mon sac
Une CARTE RF RF RF RF République Française
Une carte d’identité
Une identité numérotée N° 01 03 75 P 00 471
J’ai honte de mon apparence
Parée de mas appâts pâles mon apparence
J’ai un coté paré intégré qui me colle à la peau
J’ai honte de moi
Je suis française et ça se voit
Je suis française de France
Une vraie française
C’est pourquoi les policiers me laissent en paix
En paix en paix les gardiens de la paix
En paix avec qui ?
En paix avec quel moi-même ?
J’ai un moi même « incontrôlable - incontrôlé » qui hurle au fond de moi
Au fond de moi je suis noire comme disait Frantz Fanon
Noire sous la peau
Sous ma peau de blanche qui se contente de bronzer
Ma peau de blanche qui me colle à la peau
Mon manque de peau ah !
Je hurle noir mais vous n’entendez rien
Je hurle dans ta langue sous la banderole
Quitte à y laisser ma peau
Ma peau - horrible peau - oripeau
Moi, la couleuvre citadine j’aimerais changer de peau mais surtout pas retourner ma veste
comme certains
Moi qui présente si bien, je suis une femme qui déjoue la peau
On en a ou on en n’a pas « du » peau !
Je jette au feu la peau que les autres me reconnaissent
Une peau qui me permet de faire partie des leurs
Que de leurres ! Que de leurres !! Que de leurres
Que je finisse en poule au pot ! Et qu’on me fasse la peau !
Ma langue fourche sur le sens inscrit au profond de ma langue
4
Arrachez-moi ma langue
Ma langue française
Je hurle mais vous n’entendez rien
Ma sale peau de blanche me fait hurler,
Je regarde : là ce sont mes mains - là mon ventre – là ma peau - là ma peau
Je me regarde et je ne m’y reconnais pas
Mon blanc pays blanchi qui se vante
Moi si bien intégrée à la France inquiète la France cette grande dame en manque
d’amour qui demande à tous les étrangers:
« Tu m’aimes ? Tu m’aimes ? Tu m’aimes ? »
Et qui, tout en souriant donne son verdict assassin
« Si tu ne m’aimes pas, vilain ! vilain ! Dégage ! »
Cette blanche peau n’est plus la mienne.
Faites qu’il ne soit pas trop tard
La peau comme une enveloppe
La peau qui annonce la couleur, mais la couleur de quoi ? De qui ?
Qui parle de couleur ?
Merde !! Toutes les entrailles sont rouge vif !!
Dans notre beau pays des tripes à la mode de Caen ??
Quand a commencé l’histoire de ma peau ??? Qui a écrit sa blancheur ?
Regardez-moi « je suis une noire sans peau, une noire écorchée vive,
Une noire qui ensanglante le blanc virginal de sa culture.
Je saigne et on en fera un bon boudin noir !!!
Je saigne sur la France, je saigne sur Marianne, je saigne comme un cochon sous la
banderole.
La journaliste soudanaise menacée de 40 coups de fouet pour avoir porté en public une
"tenue indécente" c’est moi.
Je suis cette femme qui a reçu un coup de téléphone des autorités disant qu’elle devait
comparaître devant le juge. C’est moi Gigi la tondue ! Boudin foutu ! C’est moi qu’ils vont
fouetter 40 fois
C’est à moi qu’ils vont imposer une amende de 250 livres soudanaises, c’est à moi de payer
les 100 dollars ! Ça fait cher le boudin !
C’est moi qui vais être fouettée et je ne suis pas la seule
On est 12 aujourd’hui (douze apôtres sans couille, je dis ça juste pour voir si le pape
m’écoute), On est 12 aujourd’hui, demain on sera 100.
Elle fredonne
« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers.
La la la …
Ils étaient vingt et cent, nous sommes des milliers.
La la la
Qui me dit à présent que ces mots n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour »
STOP moi je ne suis pas faite pour l‘amour
Alors venez vite nous compter, nous les femmes soudanaises avant que nous ne soyons
plus que des corps ensevelis.
Je hurle là ! Je hurle ! Mais vous ne m’entendez pas
Est-ce que je crie ?
Est ce que vous m’entendez crier ?
Non je vous parle si tranquillement
Pas d’esclandre, on est entre gens biens, on se respecte, on s’écoute
5
Aujourd’hui on ne va quand même pas desceller les pavés
On est en ville, en plein Paris !!
Je ne vais pas hurler !
Un dimanche en plus !!
Non ! Je ne suis pas sur la place de la concorde, avec 100 000 personnes, en train d’hurler
dans le mégaphone.
Non ! Je ne suis pas sur la place de la concorde, avec 100 000 personnes en train
d’accrocher mes lambeaux de peau sur l’obélisque
Non ! Je n’ai pas réuni 100 000 personnes sur la grande place de la concorde pour hurler
contre le pape et tous ses copains violeurs de guerre
Non ! Nous ne sommes pas sur la place de la concorde en train de tourner en rond autour du
totem, trophée de guerre, symbole de virilité
Non ! Je ne suis pas Johnny Halliday !
Non aujourd’hui il n’y a personne sur la place de la concorde et quand je crie vous ne
m’entendez pas
Mais ce n’est pas un hasard si je n’ai pas réuni 100 000 personnes sur la grande place de la
Concorde, car par les temps qui courent et ils courent plus vite que les bagnoles, par les
temps qui courent je dois rester au calme, à la maison à la rigueur dans un théâtre à cause
des risques de "pandémie".
Et c’est interdit de réunir 100 000 personnes sur la grande place de la Concorde parce que la
rue n’est pas un stade
Et que 100 000 personnes sur la grande place de la Concorde, c’est trop - c’est trop
d’humain – et c’est trop humain tant d’humains !
Trop d’humain c’est dangereux
Cet été des programmateurs de festival de rue ont annulé des spectacles à cause de la
grippe H1N1 !!
Alors je peux vous le dire tranquillement
Car même si je hurle vous ne m’entendez pas
La grippe H1N1 va faire des ravages !
Oui vous allez tous mourir !!!!!!
Mais ne vous inquiétez pas le pape va tous nous bénir !
Ça va être l’hécatombe tombe, tombe, tombe !!!!!
Dans tous les pays du monde, monde, monde !!!
Saoud, pourquoi es tu parti ?
Je voulais juste regarder le soleil couchant et sourire aux passants
Saoud, tu es parti mais moi je n’ai pas déménagé,
C’était hier quand je suis arrivée
A Paris
Hier - Il y a plus de quarante ans
C’était moi il y a quarante ans, la femme qui débarque dans son « une pièce-cuisine ». Le
premier jour, la première fois, j’ai pleuré. Je suis arrivée dans ce mon « une pièce-cuisine »
et j’ai pleuré. J’ai pleuré parce que j’étais contente ! Parce que je sortais de l’hôtel. Je suis
arrivée et j’ai pleuré. Pas parce qu’il n’y avait pas d’eau chaude, pas de chauffage, pas
d’électricité Non ce n’est pas ça qui m’a fait pleuré. Non, c’est la pourriture, le moisi, les
gravas dans l’évier, les trous dans les murs et la merde partout, c’est ça qui m’a fait pleurer.
Du noir jusqu’au plafond ! Ils avaient dû faire du feu, il y avait de la suie partout. Il n’était pas
cher mon « une pièce-cuisine » ça c’est vrai. il n’était pas cher, mon « une pièce-cuisine » il
n’était pas cher parce qu’il n’y avait pas de cuisine. Et les chiottes c’était une cuve à charbon,
une cuve à charbon où il n’y avait plus de charbon. Et l’ouverture du coffre à charbon arrivait
directement dans la cuisine qui n’était pas une cuisine. L’ouverture du coffre à charbon
arrivait directement à la gazinière, enfin, à la cuisinière à charbon mais il n’y avait pas de
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cuisinière à charbon ni cuisinière ni charbon juste le noir partout! Et dans la chambre, il y
avait une énorme aération pour mettre le poêle à charbon, sauf que moi, je n’avais pas de
poêle, pas de cuisinière et pas de charbon. Je voyais ce noir devant moi et je pleurais. J’ai
emménagé le premier mai. J’ai tout repeins en une nuit, papiers peints et peinture, j’ai peins
par-dessus la merde. J’ai blanchi le noir et j’ai épongé les larmes. Dans le noir parce que je
n’avais pas la lumière, qu’est ce que j’ai pleuré ! Et au bout de deux jours, je me suis dis :
« Je suis arrivée, je ne me casserai plus jamais ! Je ne me casserai plus. Je ressortirai les
pieds devant ou par la force des baïonnettes. »
Et depuis je n’ai pas déménagé.
Saoud tu es né là dans ce « une pièce-cuisine » que j’ai blanchi de mes mains. A Paris. Un
Paris qui accueille les bancales, les frôles la mort, les brigands et les violents.
Tous les violents ! Les hommes, les pères, les maris, les voisins. Tous des endiablés de la
violence.
C’est difficile à regarder en face la violence.
Lui mon capuchonné il est entré comme une liane, comme un serpent souple et d’un seul
coup il s’est transformé en tigre et il m’a cogné, mais si ça se trouve c’est un gentil gars.
Il m’a cogné et c’est la vue du sang qui l’arrêté. Comme le sang de nos règles peut arrêter un
violeur.
Le vue du sang l’a arrêté. Le sang ça excite les hommes ou ça les arrête. Comme les bêtes.
Comme des bêtes. C’est tout l’un ou tout l’autre.
Lui il était seul il n’était pas en bande.
Et même si on me dit que mon loustic capuchonné appartient à l’une des 222 bandes
connues en France et répertoriées soit disant par le ministère.
La violence de celui qui surveille ça me débecte plus que la violence de celui qui me tape
dessus.
Le ministère il pond des textes pour enfermer les gamins. Et celui qui m’a cogné, mon gamin
à la bombe lacrymogène, s’ils le trouvent, ils vont le mettre direct en taule. Et il ne pourra pas
dire qu’il se sent trop serré dans sa toute petite cellule parce qu’il y a déjà 3 gars qui y sont
installés. Non il devra se consoler en se disant qu’à quatre c’est le nombre idéal pour jouer à
la belotte !!
Depuis Zola, Paris n’a pas changé, il y a toujours eu des bandes.
Et dans mon quartier de Pernety à la porte de Vanves il y a des bandes.
Mais lui le gamin qui m’a cogné, il est venu tout seul.
Il a fait irruption, il m’a bombé le visage, les yeux. Il a vidé la bombe, il m’a cogné puis il est
reparti.
Il est venu seul il est reparti seul mais avec mon ordi.
Dans mon quartier de Pernety à la porte de Vanves il y a des bandes.
L’autre jour il y a eu un attroupement. Il était cinq heure pas plus. Des enfants plein la rue.
Franprix ouvert.
Au pied de l’immeuble. En bas de chez moi. Trois, quatre coups de feu !
Un jeune homme qui court et puis qui s’affale. Je ne suis pas restée tout le temps à ma
fenêtre. J’ai vu un groupe de jeunes. J’y suis habituée à leurs attroupements.
Ils sont là sans rien faire. Toute la journée à attendre, à se parler, à se taper sur l’épaule, à
tourner autour des voitures. Des voitures qui arrivent et qui freinent au dernier moment, vitre
baissée ! Que des gars ! Ils sont toujours au même endroit. Ils ont la dégaine, les coups de
gueules et les accolades qui vont avec. Ils ne sont pas devant une entrée, devant une porte,
non. Ils n’entrent nulle part. Il n’y a pas de café, juste un petit coin d’immeuble.
Un bout de trottoir où ils peuvent se tenir des heures durant.
Rien que des gars entre eux, de plus en plus nombreux.
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Des qu’on n’avait jamais vu, des plus jeunes, des plus vieux.
Il a fallut que ça tombe un mercredi avec tous les enfants qui jouaient et qui passaient dans
la rue ! Le danger !
Un voisin du dessous les avait filmés quand ils trafiquent.
Ils trafiquent et alors ? Le trafic, la drogue cela n’a aucun rapport.
Ceux qui disent que c’était prévisible, ils se trompent !
Je ne vois pas le prévisible, ni le visible d’ailleurs.
Moi ce jour là, j’ai vu un peu comme d’habitude sauf que là il y a eu un enchaînement et ça
on ne pouvait pas prévoir. C’est facile après de mettre tout dans l’ordre.
Mais c’est quoi l’ordre de ceux qui comme moi ne savaient rien ?
L’ordre n’est pas celui qu’on croit ! C’est facile après de raconter toute l’histoire “ Je savais
que cela tournerait mal, je l’avais bien senti… ” Avant, rien n’est relié.
Moi, je n’avais rien senti. J’ai vu l’attroupement par la fenêtre.
C’est comme avec mon gamin je n’avais rien prévu, rien du tout.
C’est le bruit qui m’a attiré. Pas les coups de pistolets, non !
Je les ai entendus, mais je n’ai pas du tout compris que c’étaient des coups de feu.
Des petits “ poutt ! poutt ! ” Trois ou quatre… Beaucoup moins fort que les pétards !
C’est quand ils ont commencé à lancer les bouteilles !
Ils se retrouvent à côté… Je ne sais pas comment ça s’appelle, le gros bidon pour récolter
les bouteilles, un récolteur de verre ?
Celui de ma rue, c’est pratique, il est juste en face de ma porte d’entrée.
Le collecteur de verre, il se remplit à toute vitesse, c’est impressionnant !
On est tout un tas à boire dans ce quartier.
Et c’est à cause de ce bidon que tout a dégénéré! Le récolteur était plein et il y avait un tas
de bouteilles tout autour.
Ils n’avaient que l’embarras du choix : les canettes de bières, les bouteilles de vin, les
bocaux de cornichons…
Ils prenaient ce qui venait et en avant ! ! Un seul à la fois. Comme un dératé, la bouteille bien
en main et il fonçait !
Moi de là où je suis, j’entendais juste le bruit du verre qui s’écrasait sur le bitume et je voyais
le gars qui revenait à toute vitesse. Après on m’a dit qu’ils attaquaient les autres cachés sous
le pont.
Le pont qui passe sous la voie ferrée et qui sépare le quinzième du quatorzième.
Dans ma rue, presque sous mes yeux.
Sous le pont, la rue change de nom. Elle s’arrête avec le pont. C’est la limite. La frontière.
On peut se battre pour des choses comme ça.
C’est dangereux !
Qui savait avant ce jour-là que cette frontière existait ?
Pas moi.
Même si je n’aime pas passer sous le pont.
C’est mal éclairé. Il y a des débris, des voitures garées, vitres ouvertes, des odeurs d’urines.
Des stalactites quand on regarde en haut.
Stalactite tite tombe ! !
Stalactite tite tombe ! ! C’est pour se rappeler quand ça tombe.
Quand ça monte, c’est stalagmite mite monte ! C’est facile !
Vers cinq heure, cinq heure trente pas plus. De chaque côté du pont !
Ceux du 15ième, c’était la bande de Falguière.
Une voisine d’en face que je connais, elle, elle les a vu. Elle ne voyait pas les jeunes avec
les bouteilles. Elle voyait les africains du 15ième. Elle a vu le pétard, sans savoir au début que
c’était un vrai. Un jouet tout petit. Mais bon il a tiré avec.
8
Elle a appelé les flics. Un jeune homme qui n’avait rien à voir avec les deux bandes a couru
en zigzag en se tenant le coeur. Un jeune homme qui passait par là. Un lycéen au coeur
fragile. Sur le coup ils l’ont cru mort.
Il est tombé devant ma fenêtre. J’ai vu des jeunes aux visages ravagés.
Comme une suspension et puis tout de suite les sirènes et les crissements de pneus.
Quelqu’un avait appelé les flics. Ils sont arrivés comme dans les films, des deux côtés à la
fois. C’est là que j’ai compris que c’était grave. Le corps dessiné sur le sol. La craie blanche.
La rue bloquée.
Quand ils sont descendus de leur voiture on aurait dit des vrais cow-boys. Je ne sais pas
bien ce que j’ai compris sur le coup. J’ai vu l’attroupement, qu’ils étaient plus nombreux que
d’habitude. Je n’ai pas vu le sang.
Toutes les bouteilles éparpillées.
Juste une crise cardiaque due à la peur. Il a couru en se tenant la poitrine.
En pleine rue, un jeune homme de 18 ans tombé sans raison.
Personne n’en a parlé dans la presse. Juste un entrefilet dans Le Parisien. Un coup, les
journalistes font un scandale et un coup, ils oublient qu’on existe.
Moi, je suis ce jeune homme dont le coeur ne résiste pas
Je cours en pleine rue comme lui, je m’appelle Joachim.
Je suis une torche enflammée mais vous ne me voyez pas
J’ai mal à mon monde, à mon oeil brulé par le gaz lacrymogène
Je hurle et vous ne m’entendez pas
Et je tombe sur le pavé
Je pleure
Je tombe et je n’arrive plus à me relever
Derrière le cordon de policier
Alors ne me demandez pas de faire mine de rien
De rester correcte
Toujours habillée correct
poli-acryliquement correcte
Avec ma carte d’identité sous plastique
J’ai lu les gros titres des journaux publiés dans mon pays qui va si bien
Mon pays civilisé
Des gros titres affichés comme des gros mots
La crise de la « France française » est passagère
Et je répète la crise de la « France française » est passagère (bis)
L’état va bien
Tout va bien
Mon état va bien
Et que ceux qui n’ont pas pu venir à la Fête de l’Humanité viennent à la Fête de la
Fraternité !!
Je hurle vous ne m’entendez pas
Moi je suis Joachim qui a perdu son oeil à Montreuil
Un oeil
Une tragédie toute crue
Une tragédie de Rue
Un oeil de perdu
Un policier qui tire / Flash - Flash-Ball – Flash
Et Flash tu l’as dans l’oeil
Des balles en caoutchouc / Flash- Flash-Ball – Flash
9
Un policier a tiré / Flash- Flash-Ball – Flash
Ils étaient 50 et alors ? 50 dans la rue pour soutenir les occupants d'une clinique désaffectée
soutenir tous les expulsés - expulsés le matin même
Des projectiles en caoutchouc / Flash - Flash-Ball - Flash
Et Flash tu l’as dans l’oeil
Barbarie barbare qui s’invente sous mes yeux
/ Flash - Flash-Ball - Flash
J’en ai encore deux - des yeux – deux yeux
/ Flash / Flash je fais la photo
/ Flash / Flash t’as les yeux rouges
Flash ou sans flash sans flash dans les yeux
/ Flash - Flash-Ball - Flash
ça s’appelle : Incidents graves
Un oeil de perdu - dix de retrouvés ……
/ Flash - Flash-Ball - Flash
et voila qu’apparait notre futur Oedipe
/ Flash - Flash-Ball - Flash
Gros titre dans la presse : « Le retour du cyclope »
Un oeil ensanglanté au milieu du front.
- Cyclope fils de personne / Flash
- Cyclope retourne chez ta mère / Flash
- Cyclope t’as pas un clop
clop clop clop clop clop clop clop clop
Joachim tu iras au tribunal et c’est tout !
Et tu iras clopin-clopant voir le gars de la BAC qui t’as tiré dessus, le gars de la BAC
spécialisé dans la violence urbaine et le gars de la BAC // Brigade Anti Criminalité le gars de
la BAC QUI a si bien visé, qui t’as si bien troué ce gars là que la presse ne nomme pas ce
gars la de la BAC n’était pas une brutasse !!
Alors imaginez que si ce gars de la BAC avait été une brutasse c’est sur que tu aurais
surement perdu les deux yeux et là on l’avait notre Oedipe de Montreuil
Notre Oedipe parfait
les Flash - Flash-Ball - Flash sont utilisés trois fois par jour en moyenne rien qu'en Seine-
Saint-Denis.
Je n’ai pas toutes les statistiques
Statistiques tiques tiques tombe
Dramatiques tiques tiques tombe
Et Tombent les chiffres
Et Tombent les têtes
Paris ! Saint Denis ! Montreuil ! Paris !
J’ai en moi un Paris qui déborde
Un Paris au sang caillé
Un Paris qui hurle
Un Paris mal digéré
Paris je hurle mais tu ne m’entends pas
Et mes larmes, qui les boira ?
Mon gamin capuchonné ce jour là était un jeune sans yeux
Pourtant je pense qu’il ne vit surement pas loin d’ici. C’est ce que j’ai dit au commissariat
quand j’ai déposé plainte.
Ce jour-là, j’ai été choquée.
La violence c’est un choc même si ce n’est pas la première fois, on ne s’y habitue pas. La
violence ça marque !
10
Elle fredonne
Sur mon corps tout passe
De main en main, je passe
Sous le nez je te passe
De la peur à la colère je passe
Sur tes défauts je passe
Mon chemin, pour toi je passe
De la cave au parking comme tout le monde j’y passe
Sur les détails, je passe
Un mauvais quart d’heure je passe
Des heures muettes sans parole je me fracasse
De commentaires, je me passe
Pas de chez moi chez toi / pas de chez toi chez moi (bis)
Alors je me casse
Comment ça se passe ?
Tu te casses je me casse on se casse
Du fric qui s’en passe ?
Pour toi le cap je veux bien qu’on le passe
Avec toi, à tabac, sans tabac je veux bien qu’on le passe
Des heures je t’attends et puis mon tour je passe
La main dans mes cheveux, je passe
Mal, j’ai mal, mal, mon envie, de toi, sur toi, mal, prend toute la place
Et toi l’arme à gauche tu dis que tu passes
Sous un train, tu veux que l’on passe
Moi, dans le vent sous le ciel je t’embrasse
Et comme les feuilles mortes je me ramasse
Je me ramasse
En deux, pliée à m’en faire péter les jointures, je t’embrasse
Tes lettres, ta photo, ton ossature pointue
J’embrasse et j’enlace
J’enlace
J’enlace
Et comme les feuilles mortes je me ramasse
Je me ramasse
Lasse
Halasse
Lasse
Lasse
Ma grand-mère elle disait qu’il faut tenir les coups, non tenir le coup, garder la tête haute,
tenir le coup, ne pas se plaindre, tenir le coup supporter, ne pas lâcher, ne rien dire, rester
digne ! Elle a été foraine toute sa vie alors elle sait de quoi elle parle !
Ma grand-mère, elle a tenu un stand, elle a tenu une épicerie toute seule ! Ma grand-mère
elle a tenu le coup et elle a connu deux guerres.
Paris une ville occupée !!
Paris une ville sans yeux !!
Ma grand-mère a résisté.
Et moi je hurle mais vous ne m’entendez pas
Ma voisine elle, elle crie ! Et quand je dis elle crie c’est qu’elle crie vraiment ! Elle crie fort.
Fenêtres fermées ou ouvertes c’est pareil toute la rue peut l’entendre.
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Elle crie
Elle hurle avec son mari
Avec ses enfants
Avec quelqu’un au téléphone
Elle crie ma voisine
elle crie.
D’ailleurs je crois même qu’elle ne sait pas parler normalement elle crie pour parler en
quelque sorte
Pour qui pour quoi elle crie si souvent ? C’est qu’elle est bavarde !
Je ne risque pas de lui demander pourquoi elle crie, car elle me répondrait en me hurlant
dessus et je n’en saurais pas plus.
Ce n’est pas des questions qu’on pose à sa voisine.
Alors je reste immobile et plus ses cris montent et plus je suis paralysée je reste à l’affut
j’écoute les cris qui montent avant les coups.
Les coups au moment où les cris ne sont plus supportables
Au moment où je me dis que moi aussi je voudrais crier pour empêcher ses cris
Au moment ou je sens que tout bascule je voudrais et je ne fais rien je voudrais et plus ça
monte plus je reste là immobile et alors dans ce suspense alors oui arrivent les coups les
coups, les coups sourds et sombres les coups qui tombent
Et le cri se transforme
On a peur
On tremble
On entend et ne veut plus entendre et on tend l’oreille
On se tapit et on écoute, on é encore, encore plus
Et on a mal
Corps immobile spectateur et dans mon regard se mêle désespoir et fascination. C’est un
malaise qui me fais trembler et me donne la nausée.
C’est que je voudrais tout entendre tous les détails et reconnaitre un mot un seul qui
m’aiderait à comprendre c’est pour cela que je reste pétrifiée.
Sa voix horrible qui gueule sur tout qui gueule vitre ouverte claquement de porte cette voix
qui outrepasse les murs
Sa voix comme si c’était la mienne
Sa voix comme ma soeur
Ses yeux noirs haineux le ton sec
Moi figée comme une statue qui veut entendre sa voix
M’entendre dans sa voix
Quelle est cette curiosité au fond de moi qui me fait mal
Elle hurle et je contemple la plaie ouverte de ma violence.
L’orage qui gronde
Entre les mots mal coordonnées de sa langue
De ma langue
Cette langue ordurière qui force sa bouche
Ma bouche
Souvenir et grimace
Faites qu’elle se taise
Avant qu’elle ne brule à la cigarette ma sonnette
Silhouette hirsute collée au paillasson
Je ne veux pas la voir
Pas l’avoir
Juste l’entendre pour prendre une revanche sur
Pour épier en elle ce qui me ressemble
Sa gueule ouverte qui ne retient plus
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Sa gueule ouverte sans retenue
Son monde hurlant comme tous mes ennemis réunis
Flux et reflux d’une mer monstrueuse qui déferle hors de son appartement
sa violence est à l’étroit
Sa violence oppressée s’enflamme
Par delà le mur
Je me tapie et je pleure
Frottement des mots, des corps, des tissus, brisures, éclats, fracture, qui pénètrent si fort
les pièces de vie
Une vie encadrée
Sa violence me fait peur
Peut être j’ai plus peur d’elle que de la violence de mon gamin capuchonné
Gamin pourtant tu m’as cogné
Gamin toi qui n’as pas ouvert la bouche
Mon gamin « enviolenté » qui en silence est entré et qui, sans mot, sans attendre, a frappé,
frappé, frappé
Ce gamin qui m’a frappé sans signature m’a laissé au coeur un émoi
Et moi ? Et moi ? Et moi ?
Saoud pourquoi es tu parti ?
Saoud, je suis la bouche éventrée, remplie de courants d’air
Je suis la bouche vide
Saoud dis-moi où tu es ?
Comment est-il le monde que tu vois ?
Saoud dehors des gens marchent d’un pas nonchalant
Saoud le vent agite les arbres de la rue comme une caresse
Aujourd’hui il fait presque beau au dessus des toits
Saoud je vais te raconter un peu qui je suis
Au-delà de mon identité de façade
Du début de ma vie
Ma vie
En morceaux.
C’est une histoire de mères, de mères épouvantables, de mères épouvantées
Moi aussi, je suis née d’une mère et ma mère est un monstre.
C’est juste de commencer avec elle. Avec son ventre. Moi le foetus. Elle dit volontiers à tout
le monde qu’elle accouchait comme une lettre à la poste. Encore faut-il ne pas être la
première lettre. Et moi je suis la première. On peut dire l’aînée. Aujourd’hui on est six.
L’aînée de six. L’histoire de la fratrie, de l’écriture familiale ça commence avec moi.
Un an après leur mariage le classique de la famille catholique qui se débrouille pas trop mal
dans le domaine de la reproduction.
On se marie, on fonde une famille alors moi je suis le début de la famille.
Ils sont impressionnants sur la photo de mariage. Noir et blanc. Grand tirage, un
photographe ! On pourrait croire que ma mère est belle sur la photo, mon père aussi mais
mon père il est vraiment beau surtout que je ne l’ai pas vu vieillir. Il est mort quand j’avais
huit ans.
Alors c’est une bonne combine pour rester beau. J’ai eu sa photo très longtemps dans mon
portefeuille en cuir, pas celle du mariage, une autre. On en a fait plein de tirage de cette
photo, la photo qu’on a distribué à sa mort, la même pour tout le monde.
Quand j’ai eu plus de huit ans et que j’ai regardé ce souvenir en noir et blanc j’ai vu que la
photo avait été retouchée. La photo de mon père vivant en noir et blanc, la dernière photo.
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Et bien il était quand même beau. D’ailleurs quand j’étais petite, j’étais très fière de sa beauté
parce que l’on me disait, ou on disait à ma mère, que je lui ressemblais.
Les gens avaient une façon très spéciale de m’observer en étant très concentrés, de me voir
et de ne pas me voir jusqu’à en conclure l’oeil ravi et ému : “ C’est tout Jean-Jacques. ”
Jean-Jacques c’est le nom de mon père, enfin le prénom, son nom c’est le mien.
Je porte le nom de mon père, Saoud.
Je n’ai pas épousé ton père et encore aujourd’hui je ne vois pas quel autre nom je pourrais
porter.
On ne choisit pas son père, on ne choisit pas son nom. Les femmes qui prennent le nom de
leur mari je n’ai jamais compris. On naît une fois et on a un nom une fois pour toute.
Je suis née donc le jour de la fête de la saint Jean. J’aime bien savoir ça, même si je suis la
seule à le dire, à le savoir. Mon anniversaire n’a jamais été un grand feu. Je suis née en ville.
Peut-être que si j’étais née à la campagne j’aurai vu les gens autour de moi sauter audessus
du feu.
Mon grand-père maternel s’appelle jean et mon père Jean-Jacques mais ça je l’ai déjà dit.
Deux Jean derrière moi pour moi qui suis née le jour de la St jean.
Je suis née, je suis la première à être sortie de ce ventre là.
Du ventre de ma mère.
Je suis née avec les cuillères à salades.
Les obstétriciens appellent ça les forceps. Forceps cela fait penser à fort et à biceps ça fait
très masculin comme instrument. Ça doit être en métal comme le truc qui permet d’explorer
le vagin. Je crois que cela s’appelle le speculum.
Les médecins aiment le métal, question de nettoyage je présume !
Forceps, cela fait savant mais c’est exactement comme des grosses pinces à salades ou à
spaghetti, chacun voit selon sa culture.
J’ai dans mon tiroir à la maison une pince à spaghetti.
On la tient entre les doigts comme une paire de ciseaux et on prend les spaghettis avec.
Cette pince je l’ai trouvée dans une poubelle rue Vercingétorix. Sans chercher vraiment,
comme ça en passant.
Moi je ne suis pas arrivée en passant, il a fallu me sortir. Les forceps !
Les forceps, donc se sont deux cuillères face à face que l’on peut fermer l’une sur l’autre
comme une pince. Cela sert à prendre le crâne. On pince et on tire. On prend bien le crâne
et on tire. Dans le petit Robert ils disent : “ qui sert à tirer la tête du foetus pour en faciliter
l’expulsion ”. C’est le cas quand le bébé ne veut pas sortir ou que la mère ne pousse pas ou
qu’il n’y a pas la place, que le bassin est trop étroit même si dans ce cas là quand le bassin
est trop étroit selon moi ça ne sert à tien de tirer donc c’est plutôt si la femme démissionne
du genre plus la force ou le bébé trop haut qui n’est pas descendu ou que l’homme en
blouse blanche en a marre d’attendre qu’il a faim et que ça ne peut plus durer ou que le
médecin a envie d’utiliser ses beaux outils.
L’homme est celui qui utilise les outils.
Les sages-femmes elles utilisent leurs mains et elles sentent avec leurs mains, avec leurs
doigts. Une femme qui accouche en est à un doigt, à trois doigts, et à dix doigts c’est le
moment de pousser. Quand je suis née il n’y avait pas de sages femmes et pas de doigts,
juste un homme et ses outils.
C’était comme ça dans les familles bien et quand ma mère parle de cet homme qui a extrait
ma tête avec ses pinces elle prend un air très spécial et on doit comprendre que c’était
quelqu’un de bien, de respectable un très bon accoucheur un homme réputé dans la ville et
on peut dire : “ C’est le Docteur Brandebourg lui même qui m’a accouché ! ”
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C’est une gratification, ça vaut plus ! C’est comme un bonus !
On peut être fière d’être une femme accouchée par le docteur Brandebourg.
L’outil en métal brandi ! L’outil ami de l’homme à la blouse blanche ! ! L’outil nécessaire !
L’outil prolongement du bras de l’homme à la blouse blanche et l’outil dans la main au bout
du bras velu souvent nu sous la blouse. La pince à tête de l’homme en blanc l’homme prêt à
pincer ! L’homme blanc ! L’homme crabe.
C’est donc un crabe qui m’a fait sortir et tout cela est logique puisque je suis cancer.
Cancer égal cancro égal cancre égal crabe le symbole du cancer c’est un crabe et le premier
homme que je vis fut un crabe.
Une sorte de paternité médicale et astrologique à la fois.
C’était une naissance très chic. Je ne parle pas de la sortie un peu difficile avec l’accoucheur
tirant et suant à grande eau pour arriver à m’extraire, non je parle quand tout le monde est
venu me voir dans le berceau et que je portais la layette tricotée avec amour, tricotée main,
tricotée maternel et un point à l’envers et un point à l’endroit un point pour saint Joseph un
point pour saint Thomas.
Je suis née à l’époque où on cultivait une tendre patience et une profonde barbarie.
Donc une fois dans le berceau mon père est arrivé, il n’était pas encore mort.
Mon père a regardé le petit paquet un peu rougeaud emmitouflé dans la laine, le petit paquet
couvert de cheveux noirs et il a été déçu que je ne sois pas un garçon.
Un garçon c’est mieux ça ne se discute pas et des couilles j’en avais pas.
Je ne m’en suis pas tirée trop mal parce que quand ma soeur est arrivée deux ans après et il
a dit, j’en suis sûre parce que c’est ma grand mère qui me la dit et elle l’a dit plus d’une fois
donc a moins d’être sourd on ne pouvait pas faire autre chose que de le savoir, bref quand
mon père a vu ma soeur il a dit : “ Je ne sais faire que ça ! ! ”
Moi j’ai quand même un titre je suis l’aînée ! !
Mais bon l’amour d’un père ? Je ne sais pas trop, vu que c’est plutôt moi qui me suis
occupée de l’aimer coûte que coûte parce que quand on aime ça fait durer la relation et
j’avais besoin de cette relation. J’ai bien aimé l’histoire que l’on me racontait. Qu’il était au
ciel et qu’il me regardait et qu’il me protégerait.
J’aimais bien me sentir spéciale avec mon père là-haut comme un ange !
Ce n’est pas tout le monde qui a ça ! Mais aujourd’hui, si je pense à cet homme qui n’était
pas content d’avoir une fille et bien cet homme là je ne suis pas sûre que ce soit mon père,
c’est tout !
Et comme on n’a pas pu en discuter ! !
Il était beau sur la photo ! ! Très beau ! !
Oui il était beau et moi je ne suis pas franchement belle, la beauté cela ne se partage pas
Je suis française
Avec une identité bien conservée sous plastique
Je suis française par facilité évidence
Française sans délit de faciès
Française 100%
Une française qui ne peut pas déteindre au lavage
Une bonne citoyenne en règle
Qui hurle sans son
Saoud je suis sur le point de tomber
De tomber définitivement
Dans ma langue toutes les occasions sont bonnes pour tomber
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Tomber amoureuse - tomber malade - tomber enceinte- tomber pour mieux tomber je
n’arrête pas de tomber.
Tombée à deux mois de la gazinière, je me suis tortillée comme un vers sur le carrelage
Dans la cuisine, ma première chute !
Sans cicatrice.
Tombée à deux mois
Une chute du haut de la gazinière
La dégringolade
J’ai roulé dévalé
Comme un escalier de métro
A toute vitesse la tête en l’air
Le cerveau à l’air
CO2 sensation de vertige
Comme dans les escaliers fait de trop de marches
De 30 marches
Mon cerveau trop vite sur le carrelage
Le choc ressenti dans la chair - sans les yeux
À deux mois on tombe sans voir
Avec des yeux sans regard
On tombe
Une chute sans yeux
Vertige garanti
Mieux que le saut à l’élastique
Le coeur qui se serre, les yeux qui tournent à vide, pupille pâle, bras incontrôlés qui pendent !
Une secousse sans les yeux
Dans les escaliers du métro mes pieds avancent tout seul
l’un après l’autre sur la bonne marche, à la bonne hauteur,
Sans les yeux
Mes pieds à la hauteur de la situation
Sans les yeux
Automatisés l’un après l’autre
De haut en bas
On dévale du haut vers le bas
Car c’est du haut que l’on chute
Pas de chute sans hauteur.
La hauteur des marches / chaque pied / la hauteur de l’escalier / le pied / la plante du pied, la
marche, le pied, la marche
Et avec le genou ?
Vertige
Haut de coeur
Haut les coeurs qui dégueulent au dessus des marches que l’on dévale
hauteur beaucoup trop haute
Hauteur de ma propre hauteur
Auteur !!!
Corps suspendu au-dessus des pieds agiles qui avancent tout seul
Et ma tête ? Et ma tête ?
La tête chute, décroche et roule
Chute, perte, corps qui déboule, qui dégringole, roule, heurte, se fracasse
Mon corps en bas des marches qui se tord comme un ver, qui se disloque
Mon corps de grande personne qui ne peut plus rebondir et qui se fend en deux sur la 24ième
marche
Un corps né français, durci par la vie qui a perdu la tête
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Un corps qui se heurte à son identité incontrôlé
Un corps voué à la chute
Un corps qui tombe sans raison
Un corps gisant
Piétiné par la foule qui avance inexorablement
Cerveau de bébé écrasé sur le sol
Cervelle en chute libre
Ma vie sans vie
Une évidence d’en bas
Au pied du même escalier
Toujours obligée de m’arrêter
Au pied ! Au pied !
Non
Je vais
Debout
Je peux rester debout
Je peux
Je suis capable
Capable
De faire attention
Attention
Il n’y a pas de risque
Je sais contrôler
Contrôler
Contrôler ma vie française
Mes pieds
// Gardez vos pieds bien à plat
// Gardez vos pieds bien à plat
Moi je suis française
Je ne suis pas contrôlée à la sortie du tapis roulant de Montparnasse
Jamais contrôlée
Jamais
Alors ma tête sans mes pieds peut bien rouler toute seule dans les escaliers
Tête incontrôlée comme une boule de billard
Jetée du haut des escaliers
À deux mois la tête roule sans les pieds
Papier ! Papier ! Pas pied !! Je n’ai plus pied
Papier ! Contrôlé ! Ma tête sans les jambes ! !
Ma photo écrasée sous le film plastique
Mon visage a chuté
Parachuté !!
Dans le métro l’identité couchée
Saoud, je me suis écrasée
Saoud, j’ai chuté
Saoud, j’ai compté les marches de l’escalier pour ne pas tomber
Saoud j’ai mal compté
Elle fredonne
C’est moi Gigi la tondue
Poignet tordu poing tendu
10 ans dans le bocal
Crâne tondu
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Avalez mon procès de merde
Desserrez les dents
Jugez mes cheveux arrachés
Rêvez la nouvelle coiffure
Si vous en êtes capables
Car le cheveu est pensée, pensez donc !
Avalez mes cheveux abandonnés dans l’escalier
Bandes de tordus
Tordus tondus du cul
Foireux farcis sans amour
Etat de malade
Dégorgez le mot mental
Fatal
Le coup claque, plus de polaroid
Ma photo ? Vous avez vu ma photo ?
Allez direct à la police
Mon visage dégueule de la façade
Portrait de mon absence
Surveillez-moi le bocal, bande de paranoïaque!
Sortez vos chiens !
Je suis au centre de la terre
Le ventre de Paris
Prête pour le grand défilé
Messieurs, remballez vos vies aveugles
Déracinez les poireaux dans vos yeux
Mon cerveau au Kérosène
Ma peau tendue comme un tonneau
J’habite la terre
Gazomètre à fond les manettes
Les seins en mitraillette
Ouvrez-moi le crâne et venez boire mon âme enflammée
Hommes de métal endimanchés
Mon cerveau sera mon cadeau à l’humanité
Un cadeau truffé d’idées
Moi GIGI la tondue
Dans mon cerveau la blessure
Mangez mes idées en tonsure
Vous les représentants d’un état famélique
Mon cerveau sera mon cadeau
Ouvrez-moi le crâne et mangez mon cerveau !
USE IT OR LOOSE IT
Saoud, où que tu sois j’espère que tu entends mes mots écrits au-delà de mes cris
Saoud, tu me manques
Saoud, si je crie maintenant avec ma voisine c’est parce que mon capuchonné continue de
roder dans ma tête
Je le vois entrer comme un léopard
Je le vois en face de moi prêt à me bomber
Et je suis sa proie
Lui avec sa bombe, léopard sans yeux
Il m’a fait taire avec sa bombe lacrymogène
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J’ai crié et je me suis tue
Mon léopard caché sous sa cagoule m’a fait taire
J’ai eu le souffle coupé puis la terrible brulure
Et les larmes qui inondent les yeux éblouis
Et puis j’ai vu un perroquet voler dans le ciel en plein Paris et je l’ai trouvé beau.
C’est une jungle Paris. Les léopards sont souples, leurs yeux sombres et aiguisés percent
les murs.
Ils sont en bande, les plus petits léopards grandissent et deviennent des chasseurs
intraitables, babines au vent ils deviennent des tueurs au regard de braise. Toujours prêts à
chasser pour ne pas disparaitre. Le léopard est en voie de disparition. C’est une jungle Paris.
Saoud, mon gamin à capuche m’a pris mon dernier cri. Je suis au bout du bout !
Saoud, j’ai gardé ta lettre, celle que tu m’avais écrite
Maman
Maman, je veux un uniforme
Pour moi mais aussi pour toi
Je t’explique
Je veux un uniforme efficace
Pour nous sortir de la mouise
Nike m’a beaucoup déçu
Et ne crois pas qu’Adidas ou Puma pourrait changer notre situation
Non il me faut un vrai uniforme professionnel
Et je peux te dire que c’est le bon moment pour investir
On n’a que l’embarras du choix
Je ne veux pas une imitation
Non, un vrai uniforme qui fasse bonne impression, qui en impose
Un uniforme qui soit utile
Il y en a toute une panoplie maintenant dans les rues, à Monoprix, dans les bus, partout
Moi j’aimerais mieux un uniforme, un peu comme celui des gars du parking
Ils ont un uniforme tout noir et dans le dos il y a écrit en lettres lumineuses : SECURITE
Un uniforme professionnellement conçu pour la sécurité
C’est écrit SECURITE et ça veut dire :
La sécurité vous savez où la trouver
La lire c’est l’adopter
SECURITE : c’est écrit, c’est facile à comprendre
Il suffit de lire. C’est comme « sortie de secours » dans un magasin.
Tout le monde comprend.
Les gars, ils ont le mot SECURITE collé dans le dos pour qu’on le lise dès qu’on en a besoin.
Avant de rentrer dans l’ascenseur on lit SECURITE et ça donne du baume au coeur
Devant le parking, on le lit et on est rassuré
Avec SECURITE devant les yeux, on rentre chez soi et l’effet des lettres lumineuses durant
un certain temps, on passe une soirée idéale
Une soirée sécurité 100%
Ce n’est pas idiot du tout comme système
Il y a des mots dont on a besoin pour bien vivre
Et comme il n’y a pas beaucoup de gens qui regardent le dictionnaire
Ca facilite la vie de tout le monde
Les gens lisent SECURITE et le tour est joué.
Ils savent que tout ira bien dans les escaliers, à tous les étages, dans le parking, dans le
local à poubelle, dans le local à vélo, chez eux, chez le voisin, partout…
SECURITE : c’est magique
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Ca clignote longtemps dans les têtes
Ca aide pour se sentir bien
Mais toi, maman je crois que SECURITE ce n’est pas le bon mot pour toi
Leurs chiens, ils te font peur à chaque fois que tu passes à côté
Toi SECURITE, ça te fait l’effet contraire
Tu n’oses pas avancer quand tu vois SECURITE et leurs chiens avec leur muselières et les
tatouages sur les bras des gars, et après tu rentres à la maison en tremblant et tu fumes
sans t’arrêter
Alors, moi Maman, puisque c’est moi le gars de la maison, je t’explique ce que je veux
Je veux un uniforme complet
Un uniforme professionnel avec une inscription dans le dos.
Seulement sur mon uniforme dans le dos il y aura écrit AMOUR
Mais il faut que ce soit un vrai uniforme pour que ça marche, que cela te fasse du bien
Voilà, je voulais te demander où achète-t-on les uniformes ?
Il y a de plus en plus de monde qui en porte et je n’en ai jamais vu dans les boutiques
Je ne sais pas non plus où on les fabrique
Alors si tu peux me rendre ce service et te renseigner autour de toi
Vu que là où t’es, ils en ont tous des uniformes
Je veux un uniforme noir ou bleu marine, qui fasse bien sérieux avec écrit dessus AMOUR
en grosses lettres majuscules d’imprimerie
Des lettres lumineuses que l’on peut lire dans le noir
Car j’ai remarqué que c’est pendant la nuit qu’on se demande le plus si l’amour existe
Alors quand tu seras guérie de ta dépression et que tu rentreras à la maison, tu pourras
regarder aussi longtemps que tu veux mon uniforme avec écrit AMOUR en grosses lettres
lumineuses, et alors tu sauras que tu peux compter sur ton fils et que vivre n’est pas
impossible.
Ton fils unique
Merci Saoud, merci
Aujourd’hui, je regarde Paris
Je vois une guerre qui n’en finit pas de gronder et qui s’infiltre dans les têtes.
Une guerre de sueur et de larmes.
Une guerre d’orage entre éclair et tragédie
Une guerre de misère non déclarée
Une guerre quotidienne aux gants blancs
Une guerre qui pénètre les têtes
Une guerre de percussion
Une guerre de persécution
Saoud, avant que cette guerre qui tape ne me prenne mon cerveau
Avant qu’elle ne me frappe, je testamenterais
Contre mon pays hypocrite
Contre le viol historique
Je testamenterais
Je ferais surgir sue le tapis roulant du métro à Montparnasse un grand défilé de « mot –
viande » bleuie qui regarderont le monde des contrôleurs d’identité
Des mots de toutes les couleurs
Je testamenterais
Contre toutes les fictions stériles
Contre les vies banalisées interchangeables
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Contre l’identité mensongère
Contre les noms voilés
Contre les cartes d’identité
Saoud
J’ai mis le feu au chandelier
La cartouchière greffée sur ma peau de blanche aseptisée
Je ne suis pas faite pour l’amour mais pour être incendiée
Je vais me finaliser, me final finalement à l’Elysée
Respirer l'alizé pour ne plus chuter
Me transformer en montgolfière
Et percer le ballon de la colère
« J'enrage de mon encre, de ma plume, et du pauvre vocabulaire dans lequel je tourne en
rond comme un écureuil qui croit qu'il court."
Jean Cocteau - Journal d'un inconnu. 1953
Je me suis brulée les ailes
Il me reste ma brulure que le vent rallume
Folie ! Folie!
Je tombe de risquer de tomber
Crane défoncé
Dix ans dans le bocal
Je ne veux pas tomber dans la médiocrité
Je suis toujours sur la mauvaise marche
« Quelle beauté !! » dit l'étranger
Couchée la femme
« On se connait ? » dit l'étranger
Au sol la femme éventrée
« On s’est déjà vu quelque part ? » dit l'étranger
La femme dans le passage
« Quelle beauté !! » Dit l'étranger
Elle tombe de ne plus se relever la femme
Crane tondu poing tendu
Avant de tomber
« On se connait ? » dit l'étranger
Fils amant guerrier violeur
Vous qui brandissez toujours votre queue dans le sens de l’histoire
Relevez la femme qui tombe
« On se connait ? » dit l'étranger
Elle tombe de ne plus se relever la femme
« Amis - amis !! » dit le français légitimé
Entre les coups et les jurons
« Amis - amis !! » dit le français légitimé
Mots concassés enfoncés dans les têtes
Chaos d'avant la naissance
« Je veux t’épouser !! » dit l'étranger
Saoud ?
Tu le vois l’homme ?
L’homme aveuglé ?
L’homme entrainé ?
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Prêt à violer ?
Tu le vois l’homme queue en avant qui saute au dessus des cadavres ?
« Je veux t’épouser !! » dit l'étranger
Saoud je ne peux plus payer
Avancer, avancer pour quelle liberté ?
C’est moi Gigi la tondue, poignet tordu poing tendu
vingt ans dans le bocal
Foetus hospitalisé
Saoud mon temps est dépassé
// Flash flash Ball flash
On sonne les trois coups
// Flash flash Ball flash
Les aiguilles trottent à l’envers place de la Concorde
Et l’obélisque se dresse prête à me violer
// Flash flash Ball flash
Phallus consacré
// Flash flash Ball flash
Leurs couilles comme un trophée
// Flash flash Ball flash
Et des millions de bébés japonais déboulent place de la Concorde
Saoud
Je dois m’arrêter
Tu n’es plus là Saoud
J’ai gardé longtemps ta voix sur des cassettes
J’ai écouté - j’ai hurlé - j’ai effacé
Ta voix a disparu - j’ai enregistré par-dessus
On marche toujours au dessus de nos morts
J’essaye de ne pas tomber
Les oranges sont dans le sucre et moi aussi on dirait
Figée dans le box des accusés
Française d’une France endimanchée
Coeur rouge sang
La chair plus noire que le charbon
Je hurle mais vous ne m’entendez pas
C’est moi GIGI la tondue
30 ans dans le bocal !
Saoud, si l’homme au sexe dressé me dit qu’il me connait, je le regarderais droit dans les
yeux et lui dirais : « J’ai vu une centaine de corbeau s’arrêter rue de l’Ouest au bord de la
falaise. »
Épilogue d’une utopie
Coeurs chéris ! Coeurs d’enfants ! Coeurs meurtris ! Coeurs malades !
Nous avons retrouvé le coeur de la planète !
Vivant, Messieurs Dames, vivant !
Laissez tomber la matérielle nourriture !
Abandonnez les coeurs d’artichauts et les coeurs de palmiers !
Ce n’est pas de la conserve que je vous propose !
Mais la possibilité de venir vous réchauffer au grand coeur de la planète !
Nous l’avons retrouvé après de nombreuses recherches.
Un coeur plus rouge que la vie !
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Celui qui bat pour tous ! Et en chacun de nous !
Messieurs Dames il s’agit bien là de l’organe central !
En exclusivité entre Pernety et Plaisance, et pendant toute la semaine, je tiens à votre
disposition le grand coeur de la planète ! Le viscère musculaire essentiel à la bonne santé de
tous et de toutes.
Ce coeur vient à vous, il vient chez vous !
Voisins, voisines, à votre bon coeur !
L’instant est organique !
Ouvrez vos oreillettes et écoutez ! Musique !
C’est un coeur qui bat, qui ne bat que pour vous !
C’est un coeur qui ronfle ! C’est un orgue à genoux !
Venez, venez vous réchauffer au grand coeur de la planète !
Galilée l’avait vu dans un rêve suspendu dans la nef centrale de la cathédrale de Pise !
Ce coeur pyramidal, retrouvé à 20 000 lieux sous les mers, s’était égaré et brassait sans fin
les océans ! Musique !
Écoutez battre la pulsation ! La pulsation ancestrale !
Je vous parle à coeur ouvert !
Laissez le vent d’ouest souffler et tournoyer autour de Montparnasse !
Il n’en finit pas de s’étourdir ! Il n’en finit pas de s’engouffrer !
Laissez-le perdre haleine au pied de la tour ! Puis monter vers le ciel ! Ephémère ventilation !
La vie est là derrière cette porte !
Écoutez l’appel du coeur ! Du coeur de la planète ! Musique !
Venez, venez vous réchauffer!
Il vous attend ! Le fruit de vos entrailles est bénit !
Que commence la valse des ventricules !
Battons tous en coeur la mesure !!
J’accueillerais dans l’ordre suivant :
Les cardites, les peines d’amour, les coronarites, les coeurs ensanglantés, les péricardites,
les raz le coeur, les myocardites, les coeurs assoupis, les endocardites, les coeurs sur la
main, puis les collapsus, les blessures sentimentales, les cyanoses, les essoufflements, les
dyspnées, les coeurs bafoués, les écoeurements…
Lecture spectacle joué lors du festival « Art en exil » // 2009

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