Je te parle de là où mes pas me portent, de là où je me sens bien, de là où je veux rencontrer l’autre, je serais là où c’est possible de faire la fête, où je vais jouer sans préjugé,
là où il n’y a pas d’heure, là où je crois encore que tout est à portée de main, à portée de corps, là où je vois les grilles pousser et là où je les pousse. Je te parle de là où les gens ont peur, de là où les fenêtres s’ouvrent et se referment, de là ou ça gueule, de là ou on me prend pour une folle, de là où j’entends que ça se chamaille, de là où je me sens à ma place, de là où toi aussi tu as ta place, là où tu n’es pas de trop, là où tu reviendras. Je te parle de là où on se prend dans les bras, de là où on boit volontiers une bière après avoir joué, de là où la rue devient un palace, de là où le palace est à nous et restera dans nos têtes.
Je te parle comme je trinque avec une bière, avec la vie, de là où je ne veux pas rater ça. Je te parle de là où on ne réserve pas, de là où on s’entasse, de là où on n’est pas en avance, de là où c’est juste chouette de passer, de tendre le cou,
de s’asseoir sur le bitume brûlant, mais aussi de là où tu commences à paniquer avec les étés trop chauds et les insolations, de là où avance sans autorisations, de là où on grimpe sur les barrières pour mieux voir, de là où je rêve de danser sous la pluie et où ma nuit n’en finit pas de sonner comme une énorme Batucada sur les poubelles de toute la ville.
Je te parle du dedans du visage de l’autre, avec deux milles spectateurices, où plus rien ne nous fait peur, seins nus, doigt d’honneur, de là où il suffit de
se dresser au coin d’une rue et de parler pour exister, de là où je te donne rendez-vous avec toi-même, de là où ça vibre au fond du dedans de soi, de là où ça rigole
très fort pour dire qu’on est là.
Je te parle de comment ça remue la foule dans les entrailles, de là où tu prends le micro et où tu gueules sans t’arrêter parce que faut pas déconner on a des choses à dire, de là où l’insupportable crie à ciel ouvert, je te parle comme je chante, a capella, je te parle de la fête qui se joue autour d’un sac posé au milieu du chemin, là où tu veux absolument rester jusqu’au petit matin, là où tu inventes le prochain spectacle le cul posé sur une bagnole, là où tu t’en fiches que le festival dure 3 jours même si avant c’était plutôt 5 jours et qu’il y a beaucoup, beaucoup moins d’argent.
Je te parle de là où je ne veux pas m’arrêter même si c’est dur, de plus en plus dur, je te parle de là où je ne peux pas faire ce métier juste pour de l’argent, là où je ne veux surtout pas être rentable, là où je ne veux pas de la bonne case, de la planque de la bonne conscience non je n’en veux pas.
Je te parle de là où je me frotte au politique, au politique qui accompagne la blessure, la maladie, la pauvreté, pour mon cousin mon copine mon voisin ma frangine, je le bois à gogo la politique de la rue dans la ville, la politique de la rue de la campagne, de la rue de l’hôpital, de la rue de la prison, de la fin de la nuit, de la rue de l’apérue, de la rue prodigue, de la rue chienne, de la rue fermée, éventrée, séquestrée, de la rue interdite, de la rue cul à l’air le nez dans les étoiles, on s’y frotte on s’y pique, on enfonce les barrières, on se jette dans les fossés, on s’engueule et on recommencera demain.
Je te parle de là où je ne peux pas m’arrêter même si la route est longue, de là où on n’a pas d’âge, de là où on est vivant 100%, de là où on sait que l’on ne peut pas trahir, de là où on sortira toujours en pleine rue pour rire, se frotter, tomber, pleurer, se relever et respirer à l’air libre le vent de la défaite et de l’utopie.
Texte de Marie-Do Fréval publié dans le n°1 des Cracheurs de feu - revue des Ateliers Frappaz