Première lettre
Ils disent qu’il ne faut pas les déranger
Qu’ils n’ont besoin de rien et de personne
Qu’ils sont heureux chez eux
Il ne faut pas les déranger
Ils disent qu’ils sont vieux et fatigués
Ils disent qu’ils ne nous connaissent pas
Qu’ils ne connaissent personne en dehors de leur cité
Ils disent que notre vie ne les concerne pas
Ils disent qu’entre eux ils sont heureux
Ils disent que c’est dangereux d’entrer
Que l’on peut tomber dans les fosses
Ils disent que nous devons nous méfier
Que bien des personnes ont été cambriolées
Ils disent
Oh zut
Le reste du message est effacé
Deuxième lettre
Ils disent que tout est fermé
Que tout est fermé à clef
Le portail, la porte d’entrée
Que tout est codé et bien gardé
Que tout le monde est alerté
Les gardiens mobilisés
Les chiens enchainés déchainés
Les enfants surexcités
Les têtes grisonnantes échevelées
Les parents affolés
Ils disent que la guerre est déclarée
Et que rien ne pourra se négocier
Troisième lettre
Ils disent qu’il y a danger
Que les fosses, les caves et les terrasses
Tout est piégé La forteresse est hantée
Ils disent que depuis très longtemps personne n’est plus entré
Ils disent que seuls peuvent y venir les fantômes du passé
Ici les vivants ont signé pour un monde immobile
Un monde tétanisé
Un monde de sculpture de pierre
Chacun rêve de fantôme et de longue conversation avec des
mannequins de plâtres
Chacun entretient le grand silence des ombres et du passé
Ici règne le silence propre et endimanché
Le silence du sentiment de la propriété
Quatrième lettre
Ils disent qu’ils ne veulent plus payer
Que le prix des pelouses est exagéré
Que l’herbe risque à chaque instant d’être piétinée
Que les roses ont protesté
Que la verdure coute trop cher
Qu’il y a des manigances et des mauvaises manières
Et que dans ce jardin personne ne viendra plus jouer
Que la partie est terminée
Que les dés sont depuis longtemps jetés
Que la vie ici ne doit plus passer
Et que le temps aujourd’hui il faut le tuer, le tuer, le tuer le temps